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Les récentes découvertes des chercheurs du laboratoire Géosciences Paris-Saclay (GEOPS – Université Paris-Saclay, CNRS) secouent la chronologie des processus géologiques martiens.
En enlevant artificiellement les grands bassins d’impacts, comme Hellas, et les volcans formés durant les 500 premiers millions d’années, Sylvain Bouley et ses collègues mettent à jour un continent jusqu’alors masqué et qui correspond aux premières terres formées au début de l’histoire de Mars. Ce bloc crustal fin, d’une cinquantaine de kilomètres d’épaisseur, se situe dans la région de Terra Cimmeria Sirenum, dans l’hémisphère Sud de Mars. « Cela prouve que la dichotomie martienne, caractérisée par une croûte fine au Nord et épaisse au Sud, est le résultat de processus géologiques bien plus complexes que pensés initialement », explique Sylvain Bouley. Comment ce bloc s’est-il formé ? Cela demeure un mystère. « Mais en comprenant la formation des continents sur Mars, on parviendrait à en expliquer les premières étapes sur Terre, où la tectonique des plaques ne serait apparue qu’il y a 3 milliards d’années. »
Pour dater des terrains et retracer la chronologie des événements, les planétologues utilisent le comptage de cratères d’impacts. « Grâce aux échantillons lunaires ramenés sur Terre par les missions américaines Apollo et datés de manière absolue, on a établi une loi reliant la densité de cratères d’une surface à son âge. On a projeté cette loi sur Mars et postulé que son taux de cratérisation avait été fort vers -4 milliards d’années, puis avait diminué continuellement pour devenir constant à partir de -3 milliards d’années. Au laboratoire, on a récemment montré que ce taux de cratérisation n’est pas aussi constant qu’imaginé. » Les caractéristiques morphologiques des cratères – à éjectas lobés ou rayés – et l’analyse minéralogique de ces éjectas faisant remonter à la surface du matériel enfoui, fournissent également de précieuses informations. « On a ainsi réussi à dater l’activité fluviale et volcanique sur Mars : l’eau aurait coulé entre -3,8 et -3,5 milliards d’années et le dôme de Tharsis, ce grand édifice volcanique de 5 000 km de diamètre présent dans l’hémisphère Nord, se serait formé en même temps que les réseaux de rivières souterraines. On a également montré que ces rivières étaient réparties sur une bande tropicale parallèle à l’équateur, avant que Mars ne bascule sur son axe et ne se réoriente suite à la poussée du dôme. »
Une variation de l’obliquité de Mars aurait également entrainé un changement climatique important sur la planète. « On a étudié des vallées localisées à très haute altitude dans l’hémisphère Sud datant de -3,6 milliards d’années et on a constaté qu’elles étaient similaires aux vallées glaciaires sur Terre, en forme de U. On aurait donc eu un climat froid plus tôt que prévu », rapporte Antoine Séjourné.
Réétudiée à l’aide d’images à haute résolution de Mars Express et de données topographiques, 30 ans après les images prises par la sonde Viking, les rides curvilignes localisées dans une région de Terra Arabia – une zone compacte entre les basses plaines du Nord et les hauts plateaux du Sud – révèlent à François Costard et ses collègues des formations lobées qui remontent des pentes sur 100 m. « On en a déduit qu’il s’agissait de dépôts de boue provoqués par un tsunami. Cela signifie qu’il y avait là un océan liquide, qu’on a daté à -3 milliards d’années », explique François Costard. Des résultats qui remettent en cause l’idée qu’après -3,5 milliards d’années, tout océan aurait été gelé.
« Sur Terre, un tsunami est généralement dû à des secousses sismiques. Mais sur une planète monoplaque comme Mars, il proviendrait plutôt du bombardement d’une météorite. » Après avoir repéré dans les basses plaines du Nord, au nord d’Arabia Terra, une dizaine de gros impacts résiduels comme points de départ possibles de ce tsunami, les chercheurs leur appliquent un modèle numérique de propagation de tsunami initialement calibré pour la Terre et ajusté à Mars. Au final, le seul capable de générer un tsunami abordant les rivages aux formations lobées est le cratère Lomonosov, d’un diamètre de 150 km. « Il aurait généré deux vagues successives de 300 m de haut qui se seraient propagées à la vitesse d’un TGV. » À l’aide d’une approche morphométrique, ils constatent que ce cratère présente des signes d’un ancien cratère marin, avec de larges remparts effondrés, et le datent également à -3 milliards d’années. Un point de plus pour le Lomonosov. Enfin, ils mettent à jour une activité volcanique concomitante localisée dans la région des dépôts lobés : des cônes de boue s’alignent sur les pentes formées par compaction de sédiments fins gorgés d’eau et drainés par le tsunami.
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Post-scriptum :
Publications
• Bouley S. et al. A thick crustal block revealed by reconstructions of early Mars highlands. Nat. Geosci. 13, (2020).
• Bouquety, A. et al. Glacial landscape and paleoglaciation in Terra Sabaea : Evidence for a 3.6 Ga polythermal plateau ice cap. Geomorphology, 350, (2020).
• Ilaria Di Pietro et al. Evidence of mud volcanism due to the rapid compaction of martian tsunami deposits in southeastern Acidalia Planitia, Mars. Icarus, 354, (2021).