Le vrai visage de ces hautes terres est masqué par l’effet des grands bassins d’impact et des éruptions volcaniques qui ont modifié la surface de Mars depuis plus de 4 milliards d’années. L’équipe de géomorphologues, géophysiciens et géochimistes a appliqué une technique permettant de découvrir pour la première fois la structure de la croûte de Mars avant la formation des principaux bassins d’impact (Hellas, Argyre, Isidis et Utopia) et provinces volcaniques (Tharsis et Elysium). Les données principales utilisées pour cette découverte sont les cartes topographique et d’épaisseur crustale de Mars issus des mesures du champ de gravité de la planète. L’excès de masse associés aux provinces volcaniques est retiré en imposant une cohérence avec l’épaisseur crustale autour de ces provinces. Pour les bassins d’impact, la reconstruction est plus délicate. Lors de la formation d’un bassin d’impact, la croûte est amincie dans le bassin, et épaissie autour de la dépression en conséquence de la mise en place des éjecta et de la déformation de la croûte pendant l’impact. La reconstruction proposée conserve la masse de croûte et revient à dérouler le film de l’impact en marche arrière. L’excès de masse autour de la dépression est injecté pour combler le déficit dans la zone amincie et retrouver une épaisseur de croûte homogène sur l’ensemble de la zone affectée par l’impact.
Figure 1 – a. Épaisseur crustale actuelle de la planète Mars – b. Épaisseur crustale de la planète Mars sans les bassins d’impacts et édifices volcaniques – c. Anomalies magnétiques – d. concentration en Thorium – e. Concentration en Potassium. La limite du bloc crustal Terra Cimmeria-Sirenum est indiqué en pointillé.
En enlevant l’effet des bassins d’impact et des édifices volcaniques sur la croute, la carte d’épaisseur crustale révèle un bloc aux propriétés singulières dans la zone de Terra Cimmeria-Sirenum (Fig. 1b). Ce bloc crustal s’étend sur une région vaste comme une fois et demi l’Europe. L’épaisseur de croûte dans cette région dépasse la cinquantaine de km, et on y trouve les plus fortes anomalies magnétiques (Fig. 1c) et des anomalies géochimiques (Fig. 1d et e). Sur Terre, de telles anomalies magnétiques sont observés au niveau des cratons continentaux, zone d’accrétion de microcontinents. Terra Cimmeria-Sirenum est également la seule zone de l’hémisphère sud où on observe en surface un enrichissement en potassium (K) et thorium (Th). Cette association suggère la présence d’une croûte continentale, et la présence à grande échelle de roches similaires à celles observées par la mission Curiosity dans le cratère Gale situé au bord nord du bloc crustal décrit dans cette publication. Ce travail suggère donc la présence d’un continent en partie caché par l’activité volcanique récente.
L’existence même de ce bloc crustal remet donc en cause les deux familles d’hypothèses concernant l’origine des hautes terres au sud, et des plaines plus basses de l’hémisphère nord, couramment appelée dichotomie martienne : un impact géant formant la dépression du nord soit ou une conséquence de la dynamique interne avec accumulations d’épanchements volcaniques formant les terrains de l’hémisphère sud. Le bloc crustal mis en évidence dans ce travail indique donc que ces terrains n’ont pas une origine unique et relance le débat sur les mécanismes de croissance crustale lors des 500 premiers millions d’années de l’histoire de Mars.
S. Bouley, J. T. Keane, D. Baratoux, B. Langlais, I. Matsuyama, F., Costard, R. Hewins, V. Sautter, A. Séjourné, O. Vanderhaeghe, B. Zanda. Geophysical evidence for continental crust in the Southern Hemisphere of Mars. Nature Geoscience (2020)
https://www.nature.com/articles/s41561-019-0512-6